Équinoxe et autres prénoms à la con

Une pensée émue pour tous les petits Léon, Alma, Gaïa et Kylian de la décennie.

La Chronasse
5 min ⋅ 27/08/2025

Les prénoms. S’il y a bien un sujet qui peut ressusciter un dîner mort, c’est celui-là. Trois syllabes prononcées à la volée et vous avez un mini-congrès de l’identité nationale autour de la table. 

Les débats s’enflamment, les camps se forment, les visages se crispent. En dix minutes, vous vexez un pote et découvrez que votre belle-sœur a envisagé d’appeler son fils Jazz.

Pourquoi cette passion collective pour ce qui, techniquement, est juste un assemblage de lettres ? Parce qu’un prénom, ce n’est jamais neutre. C’est la première claque sociale qu’on met à un enfant encore tiède. Il n’a pas encore ouvert les yeux qu’on a déjà décidé s’il serait avocat pénaliste, trapéziste freelance, ou coach en respiration ovarienne.

Chez mes amis — en phase procréative avancée — le prénom est devenu un secret d’État. On ne le dit surtout pas, comme si la révélation risquait de faire fuir les fées penchées sur le berceau. Ou, plus probablement, de déclencher une vague de jalousie si forte qu’on pourrait se faire voler l’idée. Leur Équinoxe, Alba, Cassiopée ou que sais-je encore. Petites lubies de poètes bobos en Birks, persuadés d’être en avance sur leur temps, alors qu’ils sortent tous du même générateur de prénoms astrologico-vintage.

Et puis il y a cette ruse qu’ils trouvent hilarante :

— On dit à tout le monde qu’il s’appellera Robert. Juste pour voir leurs têtes.

— Ha. Ha.

L’humour des jeunes parents atteint vraiment des sommets. Qu’il s’appelle Robert, Léon ou Pétronille, tout le monde s’en fout. Mais eux savourent le suspense, ils préparent la révélation du prénom comme un grand final, persuadés que le jour venu, la salle se lèvera pour une standing ovation.

Et au bout ? Pépin. Suzette. Zéphanie.

L’autre soir, à l’annonce d’une amie qui appelle son fils Édouard, silence de plomb. Puis un chœur outré :
« Édouard ? Sérieusement ? »
L’ironie ? Ces mêmes indignés n’ont pas quarante ans et s’appellent Philippine, Margaux, Valentine, Arthur… et — plot twist — l’un d’eux s’appelle Édouard.
— Mais… tu t’appelles toi-même Édouard.
— Bah ouais. Justement, c’est chiant.

Voilà où nous en sommes Les prénoms du calendrier sont frappés d’infamie. S’ils sont sobres, classiques, prononçables, ils sont considérés comme suspects. Trop normés, trop “flemme parentale”.

Désormais, un bon prénom, c’est un mix entre un druide islandais et une variété de courge oubliée du Larzac. 

Terrain miné : la guerre des prénoms dans le couple

Mais le conflit ne se limite pas aux dîners. Le vrai front, le champ de bataille, c’est le couple.
Car avant de convaincre l’état civil, il faut déjà survivre aux négociations domestiques.

L’un veut un prénom solide, classique, transgénérationnel : Nicolas, Diane, Marie.
L’autre rêve d’une épopée bohème : Nérée, Ysée, Orion.
Très vite, ça tourne au troc.
— OK pour Diane, mais tu fais une croix sur Jean.
— D’accord pour Zéphyr, mais je changerai pas les couches. 

Mon couple n’y échappe pas. Édouard est dans le camp des conservateurs. Il aime Élisabeth, Henri, Maurice. Il rêve de faire revivre ses grands-pères, qu’il n’a jamais connus, mais qu’il imagine vertueux et bien coiffés. 

...

La Chronasse

Par Mathilde de Cessole

Journaliste indépendante, je chronique avec humour les tendances étranges qui agitent notre société.

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