Rien n’a échappé à la moulinette de l’inspiration forcée sur Linkedin cet été : une merguez trop cuite, un château de sable emporté par une vague, et soudain la vie prenait tout son sens.
Ça a commencé doucement, à la mi-août : un post timide d’un cadre sup’ un peu rougeaud, perché sur son promontoire grec, qui confessait la larme à l'œil avoir "réussi à déconnecter".
Trois jours off, et soudain l'illumination :
J’ai redécouvert le goût d’une pêche bien mûre.
J’ai marché pieds nus, j’ai senti le sable, j’ai respiré.
Et là, j’ai compris : déconnecter, ce n’est pas couper son téléphone.
Déconnecter, c’est se reconnecter à son enfant intérieur.
Traduction en français non Linkedinesque : le mec a pris des vacances, il a enlevé ses tongs, il a aimé ça, et il a trouvé ça suffisamment subversif pour alerter ses 3000 contacts. Voilà où on en est.
Esseulée à première vue, cette petite étincelle de bêtise allait bientôt embraser tout le réseau : fin août, des cohortes de professionnels bronzés, traversés par la grâce estivale, se sont eux aussi rués sur leur clavier pour nous livrer leurs épiphanies.
Et quelle prodigieuse sagesse peut-on tirer d'une journée à la plage ! Il aura fallu attendre 2025 pour découvrir que le QI augmente avec l'indice UV. Galilée, Einstein, Freud... tous ces tocards qui bossaient enfermés alors qu'il suffisait d'aller faire des pâtés dans le sable.
La preuve par l'exemple :
Enfantin ? Non, mon ami, tu es juste complètement neuneu.
Construire un château de sable ne fait pas de toi un philosophe stoïcien, seulement un parent en vacances qui essaie d’occuper ses gosses. Et c’est très bien ainsi. Ce qui l’est moins, c’est d’en tirer une leçon de vie aussi foireuse que creuse. Tu as 42 ans, un MBA, une carrière, tu vends des solutions cloud toute l’année, pas de la philo. Reprends-toi. Vraiment.
Certains rétorqueront : « Allons, ce genre de torchon dégoulinant, c’est sûrement écrit avec l’IA ».
Espérons-le. Parce que si un être humain, conscient, diplômé, a volontairement pondu cette chose, alors nous sommes face à un désastre anthropologique majeur.
Voilà le véritable fléau : LinkedIn a transformé nos vacances en laboratoire à métaphores. Plus rien n'échappe au prisme de la "leçon de vie business". Monter sur un paddle ? Évidemment, c'est une leçon d'équilibre mental. Le cerf-volant qui s'élève ? La liberté retrouvée, bien sûr. Une piqûre de moustique ? Un post sur la résilience qui s'impose. La serviette trop près du voisin ? Une masterclass sur les limites à poser dans sa vie professionnelle.
Le ridicule n’a plus de frontières. Le ferry en retard devient un cas d’école sur la patience ; la guêpe dans le rosé, la métaphore des imprévus professionnels.
LinkedIn n'aime pas les vacances. Tout doit être transformé en contenu, passé au mixeur motivationnel jusqu'à produire une « leçon ».
Et au-delà de ces illuminés, il y a les coupables.
Les posts repentants, ceux qui s’excusent d’avoir osé déconnecter.
Cet été, mon fil regorgeait de :
« Pardon LinkedIn, je me suis mise en retrait pendant la pause estivale, mais me revoilà, pleine d’énergie et de nouveaux contenus » (qui n’intéressent toujours personne).
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