L'Odyssée de la Birk

Chronique d’une chaussure qui veut entrer au musée

La Chronasse
4 min ⋅ 13/07/2025

Ce siècle aura tout foutu en l’air, même les pieds.

On glisse désormais ses orteils dans des objets qui ressemblent moins à des chaussures qu’à des sanctions médicales.

Tout a commencé avec la tong : une semelle et une ficelle, une insulte textile vendue comme un appel aux vacances. Puis il y a eu la claquette de piscine, ce vestige de vestiaire qui a pris le trottoir pour un pédiluve. Et quand on croyait avoir touché le fond, la Crocs est arrivée : une chaussure trouée comme un gruyère, qu’on a eu le cynisme de rendre encore plus visible en y collant des pins.

Mais au sommet de cette pyramide de laideur fonctionnelle, une reine s’est hissée.

La Birkenstock. 

La queen du confort indécent, l’impératrice du pied blasé, celle qui nous regarde tous de haut en nous murmurant : “Je suis hideuse, mais tu vas céder.”

Et là, vous allez dire : “Mais enfin, qui ne porte pas de Birkenstock ? C’est un sujet, ça ?”

Eh bien justement. C’est bien là le problème : PERSONNE ne porte pas de Birkenstock. 

Tel Don Quichotte, les Birks sont mon moulin à vent. Un combat perdu, un duel grotesque contre des éoliennes orthopédiques. Mais que voulez-vous : il faut bien choisir ses chimères. Certains rêvent de changer le monde, moi je rêve d’un trottoir sans liège.

Birkenstock met le monde à ses pieds

Longtemps, l’objet de ma haine se cantonnait à son biotope d’origine : les pieds cornés des campeurs, les touristes allemands en short technique, la nuque rouge et la chaussette haute. C’était un folklore inoffensif. On les laissait à leur marche rapide, à leur fierté du podologue, à leur odeur de Gore-Tex mouillé. On s’en moquait. On riait, même. On prenait des photos discrètes, on envoyait des MMS légendés « État de la mode : terminal ». 

On était jeunes. On croyait encore qu’il y avait des limites à l’expansion du moche. C’était en 2005. 

Et puis les choses ont très mal tourné. Les premières Birks sont apparues en milieu urbain. Paris, Londres, Brooklyn : les villes sont tombées les unes après les autres. Ce n’était plus le soulier du campeur hirsute, mais l’étendard du néo-bobo éveillé, celui qui lit Philosophie Magazine en buvant du kombucha.

Les modèles se sont déclinés : Birk dorée, Birk à paillettes, Birk en plastique, à mi-chemin entre la sandale et le Tupperware. Le vice a été poussé jusqu’à inventer la Birk hivernale, fourrée comme un chausson de chalet, parce que le ridicule, manifestement, n’a pas de saison. La chaussure de jésuite s’est fardée, a cliqueté de grelots, s’est prise pour une coquette. Elle s’infiltrait jusque dans les rédactions de Vogue : « Associez-la à un pantalon en lin pour une silhouette effortless chic ». 

Et alors là, tout le monde a plongé : les créatives, les étudiantes en socio, les DRH qui “cassent les codes”, et pire, les hommes. Ces hommes qui n’ont jamais compris la frontière entre “casual” et “crime podologique”. Mais si tu montres tes orteils, camarade, il faut assumer. Et passer chez la pédicure. Parce que la Birk sur des ongles faits, c’est déjà discutable. Mais sur des griffes jaunies, avec une toison capillaire sur le gros orteil ? C’est tout simplement un viol oculaire. 

Le sacre de 2022

Le moche, ça se vend. Il suffit de le rhabiller en “pièce iconique” et de gonfler le prix jusqu’à ce que ça devienne désirable par pur réflexe de panique sociale. Et forcément, la mode a fait ce qu’elle sait faire de mieux : prendre la sandale orthopédique, la tremper dans du storytelling, et vous la refourguer en série limitée. 

Dior a revisité la Birk comme s’il customisait une prothèse pour un gala de charité. Valentino a flanqué des clous sur le cuir, parce que quitte à avoir mal aux yeux, autant faire mal aux chevilles. Manolo Blahnik a carrément collé des strass sur la semelle, histoire que l’humiliation du pied se voie même depuis l’espace. 

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La Chronasse

Par Mathilde de Cessole

Journaliste indépendante, je chronique avec humour les tendances étranges qui agitent notre société.

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